Journée familiale de rentrée à l'abbaye de Maumont
Homélie de M. l'Abbé Thierry Gouze
"La fête du saint Nom de Marie, dont nous faisons mémoire aujourd’hui, a été établie par le Pape Innocent XI, l'an 1683, en souvenir d'une mémorable victoire remportée par les chrétiens sur les Turcs, avec la protection visible de la Reine du Ciel ...
Enseignement
ETRE TEMOINS DU CHRIST DANS LE MONDE – LA NOUVELLE EVANGELISATION
L'ultime conséquence de la foi chrétienne enracinée dans le Christ, c'est d’en être témoins dans le monde. Et comme le Pape Benoît XVI et le Pape François nous le disent fréquemment, il semble de plus en plus certain que proposer l’Evangile de la vie et du Salut de Dieu en ce temps de notre histoire est devenu absolument primordial. Un tel objectif nous semble bien difficile. Et après tout, pourquoi évangéliser ? Et qu’est-ce que c’est, évangéliser ? Pour répondre à cette question, nous partirons des Actes des Apôtres et de textes de l’Eglise. Mais auparavant, il est bon de rappeler pourquoi il faut évangéliser.
1- POURQUOI EVANGELISER ?
La réponse à cette question est basée sur la foi. Nous croyons, parce que Dieu nous l’a révélé, que le Christ est le seul Sauveur de l’homme (cf. Ac 4, 12), et qu’il veut amener tous les êtres humains à la rencontre avec son Père, ce qui est le bonheur plénier de l’homme. Evangéliser, d’une certaine façon, c’est annoncer Dieu, c’est « dire Dieu ». C’est ne pas garder pour soi la Bonne Nouvelle que Dieu est le bonheur de l’homme parce qu’il est l’Amour absolu.
Tout homme a le droit à l’Evangile. C’est le désir et la joie de Dieu que de pouvoir être connu et aimé des hommes dans la vérité et la réalité de son message : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1 Tm 2, 4). Les évènements de la vie du Christ sont une réalité, un fait qui concerne chacun, une vérité qui appartient à tous. Et il y a dans le cœur et l’esprit de tout homme une attente cachée de cette lumière, car toute personne humaine est faite pour rejoindre Dieu, et que l’Evangile en est le chemin. Ce cadeau de Dieu que nous avons reçu par grâce, nous ne pouvons pas le garder pour nous-mêmes.
Quand Jésus appelle ses disciples, c’est pour les envoyer en mission. Il les envoie comme lui est envoyé. Il les envoie pour porter du fruit. Le suivre, c’est se laisser envoyer, dans la puissance de l’Esprit Saint. Jésus ne crée ni une secte, ni un club, ni une association... Il appelle des disciples qui deviennent ses envoyés, témoins du Royaume de Dieu qui advient en lui. Et Jésus en a même fait un commandement : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc, de toutes les nations, faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,18-20. Cf. aussi Mt 28, 19 et Mc 16,15). Ce sont les dernières paroles de Jésus en St Matthieu. Cet envoi en mission apparaît comme son « testament spirituel », son plus grand désir, la tâche ultime et prioritaire confiée aux disciples de tous les temps. Ce commandement de Jésus est donc valable pour nous aujourd’hui. Et comme le Christ ne commande rien qui soit au dessus de nos forces, nous devons croire qu’une capacité spirituelle véritable est donnée à celui qui obéit à ce commandement. Nous ne sommes pas laissés à nos seules forces humaines : pour accomplir cette tâche, nous recevons la force de l’Esprit-Saint. Jésus ressuscité a reçu tout pouvoir et, par le don de l’Esprit, il promet et garantit cette capacité à tous ceux qui croient en lui. C'est ce qui s'est passé à la Pentecôte, et c'est d'ailleurs une des raisons pour laquelle nous sommes confirmés.
Il est donc grave que des hommes et des femmes ne croient pas que Dieu existe et qu’il propose son amitié à tout homme, qu’ils ne connaissent pas le Christ, « le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14, 6), alors que leur bonheur en dépend ! Et peut-être que, trop habitués par une fausse notion de tolérance, nous pouvons penser qu’il suffit que ceux qui nous entourent soient « gentil »» et qu’ils fassent le bien autant qu’ils le peuvent, et qu’il n’est pas si nécessaire que cela d’être disciple de Jésus… Mais si cela était vrai, la mort et la résurrection du Christ n’auraient plus aucun sens : il ne serait venu que pour certains, et non pour tous ! Et être disciple de Jésus, vous l’avez vu hier, ce n’est pas simplement faire le bien et suivre des valeurs, même évangéliques. C’est suivre, adhérer à la personne même du Christ, c’est l’aimer en croyant qu’il est le Fils de Dieu, vrai Dieu et vrai Homme, Sauveur du monde, et nous laisser mener par lui vers son Père dans l’Esprit. C’est le laisser être Seigneur de nos vies. Et c’est tout cela que nous voulons annoncer et proposer dans l’Evangélisation.
Le proposer et non l’imposer, ce qui fait toute la différence avec le prosélytisme. Tout être humain est libre de suivre Jésus ou non. Mais si personne ne lui dit rien sur Jésus, comment peut-il être libre de choisir, puisqu’il ne le connaîtra pas ? Comment être libre si on n’a pas le choix ? Et comment avoir le choix si on ne connaît pas ? Et comment connaître si personne ne dit rien à personne, « comment entendre sa Parole, si personne ne l’a proclamée ? » (Rm 10 14). Evangéliser, c’est rendre l’autre plus libre. Le Christ nous a dit que la Vérité nous rendrait libres (Jn 8, 24). Et il est la Vérité. Aimer, selon l’Evangile, c’est « faire du bien ». Et le plus grand bien, le premier don que nous pouvons faire à ceux que nous rencontrons, c’est de leur annoncer, de leur faire connaître Jésus. Notre but n’est pas de les enrôler dans un programme spécifique, mais de nous soucier de leur bien et les aider, autant que nous le pouvons, à répondre à leur vocation de fils de Dieu. Il faut en être convaincu, pour pouvoir comprendre ce qu’est l’évangélisation.
De plus, il nous faut comprendre qu'annoncer l'Évangile a aussi un impact sur nous-mêmes et notre propre foi : la foi grandit et se fortifie quand on la partage. Lorsque nous annonçons notre foi, nous sommes obligés de la dire avec nos propres mots, de la justifier. Nous en prenons alors plus conscience. Doit-on rappeler que le meilleur élève d'un professeur, c'est le professeur lui-même ? Quelque chose de notre foi ne se vit que lorsque nous l'annonçons. Penser que l’on aime n’est pas la même chose que dire : « je t’aime » ; penser que l’on croit n’est pas la même chose que dire : « je crois ». Partager sa foi est comme un feu. L’amour de Dieu est comme un feu brûlant, qui grandit et vit en se communiquant. Et vous comprenez alors pourquoi le Christ nous invite à l’évangélisation : il y a un lien intrinsèque entre la connaissance du Christ, la vie en lui, et le fait de l’annoncer à ceux qui nous entourent. On ne peut pas vivre la foi en Christ sans en témoigner, parce que « la foi grandit quand on la donne » (Jean Paul II, Redemptoris Missio, 2). (Témoignage vocation JCS : en témoignant du Christ et de sa foi à ses scouts)
2- LES ACTES DES APOTRES
Dans les Actes des Apôtres, donc dans l’histoire de l’Eglise naissance et de la première évangélisation, on découvre deux choses fondamentales : tout d’abord que le plus grand risque de l’Eglise est l’extinction de l’esprit missionnaire (les premiers chrétiens en avaient très conscience) ; ensuite que l’évangélisation dans les Actes n’est pas théorique, mais profondément concrète et concerne chaque disciple.
Ainsi, par exemple, les Actes nous montrent que celui qui évangélise est toujours envoyé et qu’un chrétien n’est jamais isolé, qu’il fait partie d’une communauté. Puis les Actes nous donnent les caractéristiques de cette communauté : le partage, la joie, l’accueil, la simplicité de cœur, une seule âme et un seul cœur, pas de division ni de peur.
Et de plus, on s’aperçoit que les chrétiens des premiers temps vivaient d’une manière qui sortait de l’ordinaire, au point que cette façon de vivre posait question. Ce qui veut dire que l’on n’est pas d’abord chrétien puis témoin ou évangélisateur, mais que l’on est les deux en même temps, que l’un ne va pas sans l’autre.
Tout cela pour dire que ce que nous découvrons dans les Actes, c’est que la première communauté ne se constitue et ne s’organise que dans le but d’annoncer le Christ. Voyons maintenant ce qu’en dit les textes de l’Eglise.
3- LES TEXTES DE L’EGLISE
Quand on relit aussi les textes du Concile Vatican II, ou plus récemment les exhortations apostoliques ou encyclique de Paul VI « L’évangélisation du monde moderne », de Jean-Paul II « Christi fideles laïci » et « Redemptoris Missio », ou du Pape François dans « La Joie de l’Evangile », on y découvre une affirmation capitale : « Evangéliser, c’est la grâce et la vocation propre de l’Eglise, son identité la plus profonde : elle existe pour évangéliser… L’Église tout entière est missionnaire ; l’œuvre d’évangélisation est un devoir fondamental du peuple de Dieu ». L’Eglise n’est donc pas là d’abord pour le confort de ces membres, mais pour l’annonce de l’Evangile. La communauté chrétienne n’est donc pas un groupe simplement tourné sur lui-même ; au contraire, elle doit être tournée vers l’extérieur. Ainsi, on peut dire qu’une part de notre vie chrétienne n’est pas mise en œuvre si nous n’accomplissons pas cette mission d’évangélisation, que l'Eglise se porte bien quand elle évangélise ; à contrario, il faut admettre que si nos communautés n’accomplissent pas cette mission, elles ne vivent pas complètement l’évangile, et qu’une église qui n’évangélise pas est une église qui va mourir, qu’un chrétien qui n'évangélise pas, n’accomplit pas pleinement sa vocation de disciple de Jésus.
C'est pourquoi Benoît XVI affirme que les laïcs doivent être considérés comme « coresponsables » de la mission de l'Eglise. La mission d'évangélisation concerne « tous les baptisés », insiste-t-il. Le pape regrette que « trop de baptisés ne se sentent pas membres de la communauté ecclésiale et vivent en marge de celle-ci… Il existe encore une tendance à identifier unilatéralement l'Eglise avec la hiérarchie, en oubliant la responsabilité commune, la mission commune du peuple de Dieu… Le mandat d'évangéliser ne concerne pas seulement certains mais tous les baptisés… Les laïcs sont encore peu nombreux, en proportion du nombre d'habitants sur chaque paroisse qui, tout en se professant catholiques, sont prêts à se rendre disponibles pour travailler dans différents domaines apostoliques » (26 mai 2009, Basilique de Saint-Jean de Latran).
4- LA PRIORITE DE L’EVANGELISATION
Aujourd’hui comme hier, la même question donc nous est posée : comment réalisons-nous ce qui est dit dans les Actes, concrètement, dans notre monde au XXI° s. ? Comment nos familles, nos paroisses, nos aumôneries, nos groupes de jeunes, nos communautés ecclésiales, et nous-mêmes personnellement correspondons-nous aux caractéristiques décrites dans les Actes ? Notre façon de vivre pose-t-elle question aux autres ? Osons-nous vivre en chrétiens, montrer que nous sommes chrétiens, et annoncer l'Évangile à ceux qui vous entourent ?
Le monde d’aujourd’hui – surtout les pays d’antique tradition chrétienne – est devenu une vraie terre de mission. Il y a un urgent besoin d’une nouvelle évangélisation. Les déserts du monde attendent la Parole de Dieu. Parce que tant de personnes sont à la recherche de Dieu, parce que le monde doit être sauvé, une nouvelle annonce de l’Evangile du Christ est nécessaire. Et cela doit nous interroger personnellement.
(deux témoignages : Tout d'abord d'un évêque algérien : « En France, presque tout le monde est baptisé… mais il y a combien de chrétiens ? » Et puis d'un prêtre africain : « J’ai du mal à comprendre les français : ils sont tous croyants mais pas pratiquants… Vous pouvez m’expliquer ? Chez nous, si on est musulman, on va à la mosquée, si on est chrétien, on va à la messe… mais ici, on dit et on ne fait pas… »)
Il nous faut donc retrouver cette intuition fondamentale de notre foi : l’exigence d’être évangélisateur, de façon à ne pas attendre que ceux qui sont loin du Christ vienne jusqu'à nous, ni même prétendre que les prêtres, les religieuses ou quelques laïcs aillent les voir, mais bien réaliser l’évangile : « Chemin faisant, annoncez que le Royaume de Dieu est proche » (Mt 10, 7). Chemin faisant, c’est-à-dire en faisant les choses que l’on fait quotidiennement, là où nous sommes, sans nous inventer des missions ou des situations extraordinaires. J’évangélise dans ma vie quotidienne, en saisissant toutes les occasions. L’Esprit Saint fait le reste. Ce qui veut dire que l’évangélisation est une évangélisation de proximité, par cercles concentriques. Aujourd’hui, il est terrible de constater que quand quelqu’un a une Bible avec lui ou parle de Jésus, on le prend systématiquement pour un témoin de Jéhovah ! Il est terrible d'entendre les musulmans dires que nous ne sommes que des païens, parce qu'ils ne nous voient pas vivre en chrétiens, prier et témoigner de notre foi. Pourtant, c’est notre mission prioritaire que de témoigner de cette volonté d’amour de Dieu pour l’humanité. Et si nous sommes là, c’est que quelqu’un un jour nous a annoncé Jésus-Christ. Pouvons-nous nous émerveiller d’être chrétien ?
5- L’EVANGELISATION DANS LES RELATIONS DE PROXIMITE NORMALES
A qui devons nous annoncer l'Évangile ? Dans notre environnement proche, il y a des personnes qui ont une place habituelle dans notre vie : notre famille, nos voisins, nos amis, nos collègues de travail, des personnes partageant les mêmes centres d’intérêt que nous, ou que nous rencontrons souvent pour les besoins de notre vie quotidienne... Nous voyons certains tous les jours, et la plupart d’entre eux au moins deux fois par semaine.
C’est à ces proches que nous sommes prioritairement envoyés témoigner de notre foi. Les lieux fréquentés habituellement sont en effet les plus favorables pour parler du Christ et annoncer le Royaume des Cieux, parce qu’ils sont le cadre des relations stables et approfondies. On ne provoque pas des occasions, il suffit de saisir celles qui se présentent. On ne s’invente pas de relations nouvelles ; on évangélise celles que l’on a déjà. Notre vie quotidienne devient ainsi le lieu où s’exerce l’évangélisation. Tout chrétien est alors un élément irremplaçable de l’évangélisation de ses proches : si nous n’évangélisons pas nos proches, qui pourra le faire à notre place ?
Comme le faisait Jésus, l’évangélisation doit être « personnalisée » : chacun de nous est appelé à rencontrer les gens là où ils sont et à faire une partie du chemin avec eux (Pierre n’était pas à la synagogue lorsque Jésus l’appela, mais en train de pêcher. Matthieu, quant à lui, travaillait à son bureau de collecteur d’impôts…). Nos communautés ecclésiales offrent leur aide à ceux qui viennent à elles et en font la demande. Mais elles ne pourront véritablement aller à la rencontre des gens que si chacun d’entre nous est missionnaire là où il est, et ne se fait pas une raison de l’indifférence religieuse d’une partie de son entourage, comme si cela était inéluctable. C’est donc à nos proches que nous sommes prioritairement envoyés annoncer le Royaume de Dieu, partager ce petit peu de Jésus que nous avons découvert.
Et on n’évangélise pas seul, mais en Eglise. Et c’est pourquoi évangélisateurs et évangélisés ont besoin de se retrouver régulièrement dans une communauté confessante. Les Actes le montrent fortement, en décrivant les premiers chrétiens comme « assidus à l’enseignement des apôtres, fidèle à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières » (Ac 2, 42-43). Il nous faut vraiment prendre conscience que toute communauté chrétienne est là pour permettre plusieurs choses : faire grandir dans l’intimité du Seigneur et dans l’amour réciproque ; approfondir notre propre identité de foi ; tout cela en vue d’évangéliser.
6- NOUS SOMMES PERSONNELLEMENT ENVOYES
Aujourd'hui, nous avons tout à notre disposition pour « changer le monde ». L'Evangile a ce magnifique « pouvoir ». Dieu est de retour dans le cœur de nos contemporains qui l'avaient rejeté, de nombreux signes en témoignent chaque jour. Nous devons en être conscients. Peut-être que la grâce de l'époque que nous traversons est de pouvoir retrouver une meilleure compréhension de la mission que le Christ nous a confiée. Mais le principal obstacle de l'évangélisation, comme pour la sainteté, c'est soi-même. Comment va notre relation personnelle avec Jésus, à sa Parole ? Profitons-nous vraiment des sacrements ? Savons-nous nous laisser regarder par Lui à travers l'adoration ? Dans son encyclique « Redemptoris missio » sur la mission du Christ rédempteur, Jean-Paul II disait que le plus grand missionnaire, c'est le saint. Il expliquait aussi que la contemplation est le moteur de l'évangélisation. Et chacun doit se rappeler que l’amour est l'âme de la mission.
En fait, en France comme en Europe et dans tous nos pays, l'évangélisation nécessite un changement : il faut une annonce explicite de la Bonne Nouvelle du salut, à tous nos contemporains éloignés de Dieu, sans exception. Nous ne pouvons pas rester repliés sur nous-mêmes, sur nos paroisses, nos groupes de jeunes, nos associations, et nous devons sans cesse garder à l'esprit toutes les personnes qui attendent, à deux pas de chez nous, qu'on vienne leur parler du Christ. Evangéliser, ce n'est pas une affaire de sensibilité ou même d'émotion. Evangéliser, c'est avant tout aimer. Proposer une rencontre née d'une autre rencontre. Et c'est répondre à l'appel du Christ : « Allez par toutes les nations, faites des disciples, et baptisez-les, au nom du Père, du Fils, et du Saint Esprit » (Mt 28, 19).
Nous devons être les protagonistes de cette nouvelle époque missionnaire. Le Christ vous appelle à témoigner de son amour à tous les hommes. Evangéliser signifie montrer le Christ par nos paroles et nos actes. Aussi vous êtes invités à convertir vos comportements, pour montrer le visage du Christ, pour agir avec Lui et selon sa Parole. Vous êtes appelés à parler explicitement de votre foi, à témoigner de l’action du Christ dans votre vie, à dire à ceux qui vous entourent ce que le fait d'être chrétien change à votre vie. Vous devez parler aux autres du peu de Jésus que vous avez déjà rencontré. Vous êtes appelés à être « le sel de la terre et la lumière du monde » (cf. Mt 5, 13-14). D'où la question redoutable : est-ce qu'être chrétien, cela change notre vie ? Est-ce qu'avoir rencontré le Christ est anecdotique, ou est-ce que c'est le centre de votre existence ?
Voici des propos de Mgr Vingt-Trois, archevêque de Paris, au cours de la rencontre diocésaine de tous les acteurs pastoraux de son diocèse (prêtres, diacres, religieuses et religieux, laïcs) à Notre Dame de Paris, le 3 décembre 2005 : « J’ai eu plusieurs fois l’occasion de le dire, l’Église doit être missionnaire ou elle ne sera plus rien en ce monde. Quand je dis cela, je ne pense pas à un simple problème de diffusion ou de recrutement, comme si nous devions nous employer à faire le plein de nos œuvres et de nos églises. Je pense à la réalité de notre foi. Si nous vivons d’abord la foi comme un produit à « usage interne » pour notre consolation, ou même pour la réussite spirituelle de notre vie, nous nous exposons simplement à la voir se dissoudre ou s’éteindre, comme hélas on le voit trop souvent. Notre foi ne peut être vivante, vivifiante et donc féconde que si notre communion avec Dieu, célébrée en Église, nous pousse au risque de la rencontre des hommes et des femmes qui nous entourent.
[…] Comment pourrions-nous être vraiment attachés à Jésus-Christ et à son Évangile, si nous n’étions pas constamment préoccupés de partager la richesse que nous avons reçue ? A quoi bon être chrétiens si notre foi n’a aucun effet sur notre vie ? Et par ‘‘notre vie’’, il faut entendre non seulement chacune de nos existences personnelles, mais encore la vie de notre société et de notre monde.
Le Christ n’a pas rassemblé ses disciples pour simplement améliorer leur condition de pêcheurs du lac de Tibériade ou leur pratique des commandements. Il les a appelés pour aller au large, avancer en eaux profondes, et pour devenir des témoins d’une bonne nouvelle qui s’adresse à tous. Faute d’entrer résolument dans cette mission d’annoncer la Bonne Nouvelle, nous nous exposons à ne plus croire qu’elle est vraiment bonne et à ne plus en voir la pertinence pour nous-mêmes. Une foi qui ne se propose pas et ne se partage pas est une foi qui se dessèche et qui n’intéresse plus, même les croyants.
Certes, nous sommes les générations qui voient disparaître un certain nombre de formes de la vie chrétienne ou d’activités qui caractérisaient l’encadrement réalisé par nos paroisses. Mais Jésus n’a pas promis l’éternité à nos modalités de vie, même de vie en Église. Il a promis l’assistance de son Esprit à ceux qu’il a envoyés comme témoins dans le monde, sans les retirer du monde. Il ne leur a promis ni l’approbation générale ni le soutien des puissances, mais l’incompréhension et l’adversité. Il n’a jamais dit que tous les enfants seraient ravis d’être catéchisés et préféreraient le caté au foot ou à la danse, ni que les adolescents exulteraient si on leur faisait éprouver les interdits nécessaires à la croissance de leur liberté ou si on leur annonçait que la frustration et l’effort du travail font partie de la condition humaine. Il n’a jamais prétendu que les gens qui s’aiment accepteraient volontiers les contraintes d’un engagement dans le mariage avec la fidélité et la responsabilité mutuelle, etc.
Bref, les difficultés que nous rencontrons […] ne sont pas des anomalies étranges qui nous rendraient la vie plus difficile qu’à d’autres époques. […] Cessons de gémir et de nous plaindre ! Notre grâce, c’est de recevoir l’Esprit du Christ pour vivre son Évangile et l’annoncer aux hommes et aux femmes de notre temps […].
Dans une société que l’on dit morose ou démoralisée, nous avons la grâce formidable d’avoir une espérance qui nous fait vivre et de pouvoir la proposer à nos contemporains. Ne manquons pas notre chance ! […] C’est le sacrifice du Christ pour la vie du monde qui est notre motivation centrale. C’est lui qui nous pousse à ne pas nous renfermer sur notre confort spirituel, mais à ouvrir nos églises pour y accueillir tout homme qui cherche Dieu. C’est lui qui nous pousse à en sortir pour aller au-devant de nos frères et leur partager le pain qui nous a été donné à profusion. Ne limitons pas la générosité de Dieu par nos timidités ou notre respect humain. « Celui qui a vraiment rencontré le Christ ne peut le garder pour lui-même, il doit l’annoncer. » (Jean-Paul II, « Au début du nouveau millénaire », n° 40). »